Tout avait pourtant si mal commencé.
« Mes chers compatriotes. »
Il a suffit de trois petits mots à Emmanuel Macron pour essuyer une salve de sifflets et de huées de la foule de fans venue rendre un dernier hommage à Johnny.
Sur le parvis de l’Église de la Madeleine, à quelques pas du cercueil du rockeur, le Président de la République encaisse. Il sait que cette France populaire n’est pas de son électorat, il sait qu’à ce moment précis, il est vu comme un charognard de popularité, un indigne politicard venu se nourrir sur le cadavre de leur idole.
Le soleil dans les yeux, sans stopper sa marche, il entame une forme sophistiquée de storytelling, un storytelling onirique, sur fond de mythe de la réincarnation.
« Je sais que vous vous attendez à ce qu’il surgisse de quelque part. Il serait sur une moto, il avancerait vers vous. »
L’agitation chute soudainement. Les têtes se tournent timidement en direction de la lumineuse rue Royale avec cette envie enfantine de croire au miracle.
Emmanuel Macron a capté l’attention de cette foule à fleur de peau en reprenant le code iconique de la mise-en-scène de Johnny : les entrées spectaculaires.
Le Président est devenu conteur. Il a fait un pas de côté, il n’est plus la cible, il n’est plus en confrontation, il est celui qui dirige le regard de la centaine de milliers de personnes.
« Il entamerait la première chanson, et vous commenceriez à chanter avec lui… »
Emmanuel Macron continue de décrire cette scène que tout le monde imagine, à laquelle tout le monde veut croire : « un dernier concert ».
« Vous guetteriez ses déhanchés, ses sourires… »
Tous les détails donnent de la texture au songe et renvoient chacun à sa longue expérience de concerts de Johnny.
« A la fin, il vous présenterait ses musiciens, et vous applaudiriez. »
La foule, en transe, exulte.
Le Président a visé et atteint le cœur de la foule, la magie opère, celle-ci scande
« une autre, une autre, une autre »,
mélangé à des
« Johnny, Johnny, Johnny ».
Le Président de la République savoure. La scène décrite sous forme de « réalité augmentée » sur le parvis de la Madeleine est vécue émotionnellement, intérieurement, intimement, par la foule. Le pari était risqué.
Une véritable hallucination collective. Nous sommes, ici et maintenant, à la fin d’un concert de Johnny et la foule réclame une autre chanson.
Mais sur scène, la personne derrière le micro n’est pas Johnny, mais bien lui, Emmanuel Macron. C’est lui qui récolte les applaudissements et les preuves d’amour. Vu d’en haut, le parvis est nettement coupée en deux par une ombre : dans l’obscurité, le cercueil de Johnny, dans l’éclat du soleil hivernal, Emmanuel Macron.
Le Président ventriloque peut conclure son intervention en déclamant un message fort à ce peuple qui ne le porte pas dans son cœur :
« Et dans un souffle, en n’osant pas vous l’exprimez trop fort. Alors là, il vous dirait qu’il vous aime. »
De nouveaux applaudissements.
1min45 plus tôt, il y avait des huées.
Du grand art.
Le talentueux Président peut désormais continuer sereinement son éloge funèbre pendant 8 minutes dans un storytelling plus classique.
Devenu maître de cérémonie, il raconte le chanteur, sa vie et ses chansons en s’efforçant de se placer toujours du point de vue intime des fans en décrivant avec justesse les émotions, les pensées, les peurs, les joies, les souffrances, les rêves, les cris qui ont rythmés leurs vies au côté de Johnny.
La foule écoute attentivement, le cœur lourd.
Le Président conclue :
« … je vous demande d’applaudir Monsieur Johnny Hallyday ! »
Emportés par un incroyable tourbillon émotionnel, les applaudissements de la foule sont, semble-t-il, désormais destinés plus directement à Emmanuel Macron.
Comme un remerciement ; de les avoir compris, de les avoir fait rêver, d’avoir parlé à leur cœur.
Emmanuel Macron fait le choix récurrent de nous raconter des histoires et si possible de nous faire rêver. Il fond ainsi le politique dans l’humain ce qui lui permet, à défaut d’idéologie forte, de valoriser certaines notions piliers pour lui : le rassemblement, la sincérité et l’efficacité. Plus narcissiquement, il cherche à se positionner toujours de telle manière pour qu’il suscite lu-même une forme d’admiration.
Alors que le Président réalise une remontée inédite dans les sondages à l’approche de Nöel, il m’a semblé intéressant d’étudier un exemple éloquent de son usage du storytelling.
Comme on l’a vu dans cette exemple, le storytelling, ce n’est pas simplement « raconter une anecdote » pour faire passer une idée, comme on l’entend souvent. Le storytelling est une technique complexe et terriblement efficace qui consiste à savamment utiliser les techniques narratives pour booster émotionnellement sa communication.
Sous vos applaudissements,
Mike Chevreuil – Réalisateur, Storyteller